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In the March issue of ART AFRICA, titled ‘Looking Further North,’ Layli Foroudi explores the ways in which artists have responded to recent global crises. The French Institute of South Africa (IFAS) translated her article from English to French for our Francophone readers. 

 
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Photograph of Freddy Sam’s mural Our Gentle Hearts for the #notacrime campaign in November 2015. Photograph: Freddy Sam. Courtesy of the artist.

Des murs en Tunisie, érigés en signe de résistance contre la dictature ; des musiciens réduits au silence, chantant de leur lieu d’exil ; d’énormes lettres, noires sur blanc, rappelant aux Parisiens le principe de solidarité ; des artistes muralistes sud-africains peignant pour le changement. En ces temps d’oppression et de désespoir, les artistes ont pris les armes pour restaurer la liberté et l’espoir dans le paysage politique : pour résister.

L’Art n’est pas de la politique, mais à travers l’histoire, l’art a été utilisé comme instrument du pouvoir politique, mais aussi comme critique de celui-ci, ou comme moyen de déconstruire (et reconstruire) les narrations officielles d’Etat. “L’art est une lutte pour l’espace public, un combat pour les possibilités en termes d’imagination”, disait Charles Tripp, Professeur à l’école d’études orientales et africaines de Londres (SOAS), lors d’une présentation faite au lendemain de l’éruption des mouvements révolutionnaires dans le monde arabe. L’art peut affronter le politique, le subvertir et s’en moquer afin de construire une nouvelle réalité ou un idéal.

Rendre l’invisible visible

Selon Tripp, le graffiti est la méthode de dissidence par excellence : il affirme la présence, crée la solidarité, est facile à produire et difficile à réguler. Encouragés par l’élan de la révolution de jasmin, de jeunes Tunisiens formèrent le collectif Ahl Al Kahf et descendirent dans les rues pour peindre leurs idéaux révolutionnaires à travers la médina de Tunis.

Le manifeste d’ Ahl Al Kahf déclare, en citant Paul Klee, que le but de l’art est de ‘rendre l’invisible visible’ et que Mohamed Bouazizi est ‘le premier artiste visuel de la Tunisie’. Bouazizi est le jeune homme qui a déclenché la révolution en décembre 2010 en s’immolant par le feu devant l’immeuble du gouvernement régional de Sidi Bouzid. Cet acte de désespoir rendit visible la frustration des populations tunisiennes par rapport à leurs conditions de vie et l’absence de droits de l’Homme sous le gouvernement de Zine El Abidine Ben Ali.

“La voix de l’artiste tire son courage de la révolution”, explique Nadia Driss, une photographe et curatrice tunisienne ; “c’était une opportunité pour les populations de s’informer, former des associations et des groupes de résistance”. D’ordinaire, Driss photographie des acteurs de théâtre et des danseurs en se focalisant sur leur flou et leur mouvement, mais les événements l’ont conduite à prendre des photos de mouvements populaires de résistance et de protestation : “Le contexte avait créé une certaine énergie qui donnait envie d’agir”.

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Grim team’s Fluctuat nec mergitur mural, meaning “you are being tossed but you don’t sink.” Photograph by and courtesy of Grim team.

La chanson Kelmti Horra ‘Ma parole est libre’, composée par Emel Mathlouthi, est née de la révolution et était chantée dans les rues, se rappelle Driss. Mathlouthi chanta cette chanson au concert du Prix Nobel de la Paix en 2015, attribué au Quartet de Dialogue National en Tunisie, un groupe de la société civile créé en 2013 pour veiller à l’établissement d’une démocratie pluraliste après la révolution. 

La musique servit également d’outil de résistance au Mali lorsque les circonstances l’exigèrent en 2012, lors de l’occupation du nord du pays par un groupe extrémiste qui y imposa la Sharia et interdit la musique. Des stations radio furent brûlées, des tours de contrôle abattues, des téléphones confisqués car émettant des “sonneries sataniques” et les musiciens vivaient dans la peur. Interdire la musique dans une société qui la révère dévasta et mobilisa à la fois la population.

“Avant son interdiction, la musique était un moyen d’expression comme partout ailleurs”, explique Johanna Schwartz, réalisatrice du film They Will Have to Kill Us First (Ils vont devoir d’abord nous tuer), qui documente l’interdiction de la musique au Mali et la réaction des Maliens. “Une fois la musique interdite”, continue-t-elle, “je crois que c’est devenu autre chose : les musiciens faisaient de la musique malgré l’interdiction et à cause de l’interdiction”.  

Schwartz a suivi des musiciens qui, exilés de leurs foyers au nord, réagissaient à la crise de différentes façons. Les membres de la bande Songhoy Blues se retrouvèrent à Bamako et plutôt que de vivre dans la peur, faisaient de la musique pour plaider pour l’amélioration de la situation du pays et pour résister à l’interdiction. Khaira Agiba, une chanteuse malienne de renom, fut tellement dévastée par l’occupation du groupe extrémiste qu’elle ne pouvait plus chanter, mais après un certain temps elle retrouva son ‘inspiration musicale’ et décida de réagir. “Je ne peux pas parler au nom de tous les musiciens du Mali [mais] en ce qui concerne Khaira, sa musique est ce qui lui a permis de faire face à la situation”, a déclaré Schwartz lors d’un entretien téléphonique depuis New York. 

Pour ce qui est de son propre art de cinéaste, Schwartz se voit comme une ‘intermédiaire’ entre une histoire et le monde, donnant au dernier un accès à la première. L’avènement et l’expansion de l’extrémisme en Afrique sont une histoire à laquelle elle pensait depuis un moment, mais lorsqu’elle vit son projet de participation au “Festival dans le désert” s’évanouir avec cette interdiction, elle décida d’effectuer néanmoins le voyage, mais en tant que journaliste. “J’ai immédiatement su que si nous pouvions raconter l’histoire de la propagation de l’extrémisme en Afrique à travers cette interdiction de la musique et du point de vue des musiciens, ce serait un moyen d’interpeller le public”, déclare Schwartz.  

They Will Have To Kill Us First  -  Disco and Jimmy

Malian musicians Disco and Jimmy featured in film They Will Have to Kill Us First, 2015. Film still. Courtesy of Together Films.

Détournement de symboles

L’expansion de l’extrémisme n’est pas propre à l’Afrique. Au cours des deux dernières années, le groupe terroriste Daech occupe le devant de la scène médiatique et les attentats terroristes perpétrés sur les civils ont plongé les populations dans le deuil et la peur. Au lendemain des attentats de Paris de novembre 2015, les artistes s’efforcent de restaurer l’espoir en faisant appel à la solidarité plutôt qu’à la vengeance.

La devise Fluctuat nec mergitur, une phrase latine qui signifie “Il est battu par les flots mais ne sombre pas “, a été peinte sur deux murs de Paris, rappelle Marc-Aurele Vecchione, leader d’une équipe d’artistes graffeurs formée en réponse aux attentats de Paris. L’équipe Grim Team de Vecchione ne travaille qu’en lettres, conformément à la tradition des jeunes graffeurs armés de bombes d’aérosols qui inscrivent leurs noms sur les murs. “Paris est au cœur d’une tempête” déclare-t-il, “alors c’est une bonne devise à rappeler pour aider les gens à traverser cette tempête”.

Les espaces publics étaient surveillés par la police et les foules dispersées car les attroupements étaient interdits pendant ‘l’état d’urgence’ ; mais Vecchione et ses amis gardèrent leurs positions et la police ne fit que leur sourire. Ils connaissent cette phrase mieux que quiconque car elle est inscrite sur leurs uniformes.   

L’Art peut être utilisé pourse réapproprier un sens, donner de nouvelles significations, ou détourner des symboles. La devise de Paris a été adoptée par des nationalistes récemment et la Grim Team voulait restaurer son sens de solidarité, un sens qui n’exclut aucune partie de la population. “A travers cette œuvre nous voulons dire : cette attaque nous a secoués, mais ne nous divise pas”, explique Vecchione, inquiet de l’opposition manifeste des Français vis-à-vis de la culture islamique depuis les attentats perpétrés contre les caricaturistes du journal satirique ‘Charlie Hebdo’ en janvier de l’année dernière.

Ce fut depuis lors une prolifération de murs et d’art. Pendant que les utilisateurs des réseaux sociaux priaient pour Paris, l’artiste anonyme Goin, lui, lança le hashtag #sprayforparis avec son tableau de Marianne, un symbole français de liberté tenant un rouleau à peinture et un sceau entre les mains, au lieu d’un drapeau et un fusil. Hors de Paris, des artistes de pays lointains tels que le Brésil, l’Australie et les USA se mirent à “peindre” en signe de solidarité.

“L’Art est un monde sans frontières qui rassemble les gens au-delà des barrières traditionnelles”, écrit Goin dans un email, “la solidarité devrait être l’un des principaux objectifs de l’art”. Sur Instagram, il précise qu’il “peint pour la France, le Liban, la Syrie et le monde entier”.

Solidarité transfrontalière

Dans le cadre de la campagne mondiale #notacrime, les artistes de rue transcendent les frontières – socio-politiques et géographiques – pour protester et s’exprimer contre les violations des droits de l’Homme en Iran, là où les membres de la Foi Baha’i, la plus grande minorité religieuse du pays, se voient privés d’accès à l’enseignement supérieur.

Dans un monde de plus en plus interconnecté et global, les questions nationales de violation des droits de l’Homme suscitent nécessairement des inquiétudes au niveau international. C’est dans ce contexte que les peintures murales de la campagne #notacrime apparaissent dans plusieurs villes à travers le monde, notamment au Cap, à São Polo, New York et plus récemment à Londres. Cette campagne menée par le journaliste Maziar Bahari est en train de sensibiliser et d’attirer la solidarité face à ce problème, dans les espaces publics aussi bien physiques que virtuels.

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Tunisian wall painted by Zoo Project, a French- Algerian artist from Paris in the days following the uprising in January 2011. The “seeds” planted by dictator Ben Ali, of youth unemployment, economic disparities, and a lack of political freedom, led to a popular uprising. Photograph: Nadia Driss. Courtesy of the photographer.

L’artiste mural sud-africain Freddy Sam a réalisé une énorme fresque murale au centre de la ville du Cap, face à l’immeuble du Ministère de l’Intérieur. La peinture, toute grise, avec un carré doré en son centre, représente un oiseau blessé entre les mains d’un garçon anonyme, et la phrase ‘NOS COEURS TENDRES EPROUVENT TELLEMENT ET SAVENT SI PEU’  est imprimée sur sa poitrine. Freddy Sam essaye de garder l’imagerie et le message de son œuvre simples et universels afin d’évoquer la beauté et d’inspirer les personnes qui la voient.

“Aucune question de droits de l’Homme n’est isolée et nous avons le pouvoir de réaliser à quel point tout est interconnecté”, dit-il, expliquant pourquoi cette question lui est apparue pertinente pour l’Afrique du Sud. “La lutte de certains doit être une peine éprouvée par tous, et la force de plusieurs peut être l’espoir d’un”.

Des valeurs universelles telles que les croyances et la lutte pour l’éducation peuvent unir les artistes et les citoyens à travers le monde. La peinture murale de Johannesburg et les initiatives entreprises dans la rue dans le cadre de la campagne ont été lancées en décembre 2015 par les artistes Andrew Whispa et Wesley Pepper, qui ont perçu une forte résonance de la campagne avec l’histoire de l’Afrique du Sud, un pays où l’apartheid a systématiquement privé une partie de la population de ses droits, ainsi qu’avec le récent débat sur l’accès à l’éducation.

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Peace unleashed by Goin in Kinshasa, Congo to comment on the issue of child soldiers in North Kivu. 2014. Photograph: Goin. Courtesy of the photographer.

A travers leur art, la rue est devenue un ‘espace de démocratie’, sortant l’art des musées et élargissant la sphère politique, comme le disait si bien le philosophe français Jacques Rancière dans Le dissensus : sur la politique et l’esthétique, “faire de l’art c’est déplacer les frontières de l’art, tout comme faire de la politique c’est déplacer les frontières de ce qui est reconnu comme étant politique”. 

Rancière poursuit en affirmant que les pratiques de l’art “ne prennent pas congé d’elles-mêmes pour devenir des espèces d’actions politiques collectives”, mais elles contribuent au paysage de ce qui est visible, dicible et faisable. L’Art produit un effet : il est un outil d’expression, rassemble les gens, provoque des émotions, apporte le réconfort, mais est-il politique ? “Je pense que l’art peut réveiller les gens,” affirme Vecchione sur le pouvoir de l’art, “l’art est une forme d’activisme et peindre des idées constituela première étape ; ensuite il faut marcher et agir”.

Layli Foroudi est une journaliste poursuivant actuellement des études de Doctorat en « Race, Ethnicité et Conflit » au Trinity College de Dublin. Basée en Irlande, elle travaille comme rédactrice, traductrice et illustratrice indépendante pendant qu’elle étudie.

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